S'occuper du nouveau. Elle savait qu'elle n'aurait pas du dire oui. Elle savait qu'elle aurait du se concentrer sur les études, sur ces résultats, sur les possibles et surtout sur l'après. Mais elle n'avait réussi à dire non à la Mater et quand l'occasion s'était présenté, Maria n'avait pu s'empêcher de vouloir briller.

Son carnet dans la main, ses lunettes sur le front, elle remontait l'immense allée du l'aile Nord. Il faisait froid dans le château, comme toujours à l'approche de l'hivers. Bientôt, la cour se couvrirait de givre. Seuls les abres, mordorés, se gaussaient de l'Automne. Le nouvau avait bien choisi son moment. C'était en cette saison que l'académie était la plus belle.

Maria inspira, repoussa une mèche blonde derrière son oreille. Une appréhension la saisissait toujours avant chaque rencontre. La Mater s'était bien gardée de lui apprendre les raisons pour lesquels Arès Megalos arrivait. Qui avait-il pu défier ? Le nez de la sorcière se plissa. Megalos. Pourquoi ce nom de famille lui était si familier ? Dans quel obscur manuscrit avait-elle croisé ce patronyme empli de grandeur ? Grecque, à n'en point douter. Qui donc osait s'afficher avec autant de fierté ? Elle se renseignerait. Maria était bien trop curieuse pour son propre bien. Et si cela l'avait entrainé jusqu'aux rivages d'A Divini, cela pouvait également avoir ses avantages.

Arès était là où la Mater lui avait indiqué le trouver. Valise à ses pieds, encore perdu sur la direction à prendre. Maria offrit son visage le plus avenant, sourire de poupée et air princier. Une parfaite petite marquise, comme elle en reprendrait bien assez vite le titre. Une année, une seule, et elle serait enfin libre de revenir à son ancienne vie, de retrouver le faste de la cour et la grande de ses pouvoirs sans liens.

— Bienvenue Arès. L'Academie est heureuse de te compter parmi ses étudiants. Je suis Maria Colonna et je serai ton mentor durant les mois à venir.

Combien de fois avait-elle répété ce laïus, rodé à la perfection. Encore, encore et encore. Au moins une fois de trop.

Elle releva ses yeux noisettes jusqu'au jeune homme, découvrant cet inconnu dont les particularités ne s'affichaient pas, pas encore. La Mater avait eu moins eu l'obligeance de lui indiquer qu'il était un vampire. Un de plus.

Pouvait-on craindre l’hiver et ses gelées précoces quand le sang ne filait plus dans ses veines ? Voilà une question qui pouvait être soulevée lorsqu’il s’agissait d’Arès. Un vampire, un de plus, et pourtant si unique. Les légendes entouraient son patronyme et malgré la grandeur de sa lignée, c’était bien à cause d’elle qu’il se trouvait là. Valise à son pied, les bras anormalement rigides le long de son corps tenu trop droit, ses yeux vifs se posèrent sur celle qui lui souriait à l’instant où elle s’approcha.

Arès leva une narine, et en bon chasseur, huma l’odeur que dégageait le sang pulsant dans tout son corps. Une sorcière. A son seul parfum, il la devina jeune/âgée – doux comme le miel/âpre comme un vieux vin. Mais ne distingua pas tout de suite la nature exacte de ses dons.

Quiconque connaissait un tant soit peu l’existence des (créatures) aurait vu en lui un vampire, d’un simple coup d’œil : les yeux perdus dans le triste néant de l’éternité, le sourire éteint depuis bien longtemps, ses lèvres résolument closes sur ses canines avides. Pour les ignorants, au-delà de son air morne et du teint d’albâtre qui rompait avec le soleil de sa Grèce natale, il ressemblait à s’y méprendre à n’importe quel homme de vingt ans.

Ses yeux de bleu délavé passèrent sur le visage de son interlocutrice, ne dévoilant aucune forme de dédain. Sa voix à l’accent lissé, en revanche, ne s’en priva pas.

— Mon mentor ?

Deux mots seulement, et déjà son arrogance profonde suintait dans les tonalités rauques de sa voix. Il souleva un sourcil.

— Je préfère me débrouiller seul.

Et attrapant sa valise, il la dépassa sans un regard de plus.

Il avait le visage du vampire. Le trait pedant, le port altier. Cheveux blonds un rien long coiffé avec l'art de la noblesse. Les yeux bleus, happant jusqu'à l'âme de ses victimes. La Mater ne lui aurait pas dit que Maria aurait immédiatement compris qu'il était un vampire. Trop vieux pour le corps qu'il habitait. Elle souleva un sourcil à la morgue s'échappant de sa gorge, avant de rouler des yeux. Un de plus qui ne savait où il mettait les pieds. Un de plus qui se croyait au dessus des lois. Il avait été comdamné s'il se retrouvait entre les mains d'A Divini. Et elle se faisait désormais parchemin de la monarchie.

Maria ne releva pas la main. Ses doigts, gantés, n'avaient pas le droit de toucher ses camarades. Ordre de la Très Haute, quand sa magie était bien trop dangereuse pour ce monde. Elle ne laissait l'emprunte de ses dons que durant les leçons, quand autorisation était faite.

— Je te déconseille sincèrement de faire cela. offrit-elle d'une voix sans chaleur. Nulle froideur, seulement un ton rigide, si ressemblant à celui de la Mater. Des mots qui s'acceptaient nuls refus. — Tu es ici pour racheté tes fautes. L'obéissance est la première des vertus. Si la Mater a exigé que je sois ta mentor, je le serai, que tu le désires ou non.

Il n'y avait plus l'ombre d'un sourire sur le visage de la huitième année. On ne riait pas avec l'autorité et on n'agissait selon ses envies à l'académie. Jamais. Certain avaient essayé, dépassant de trop les ordres de la Mater et des professeurs. L'académie était une seconde chance. Une esquisse de pardon avant le couperet final. Qu'il ne se plie pas aux exigences. La Grande Faucheuse se ferait un plaisir de l'enlacer pour l'éternité.

Les mots de la sorcière, qui avait abandonné sa chaleur pour se dévoiler en première de classe. Les règles, ô saintes règles. Arès pivota sur lui-même pour la dévisager. De la hauteur dans la posture comme dans les traits, il la défia ouvertement comme il avait toujours défié toute l’autorité de ce monde. N’avait-il pas éhontément mis en danger plus d’une fois sa famille ? N’avait-il pas provoqué, mille et une fois, son père ?

C’était ce qui l’avait conduit ici – sa sœur l’avait retrouvé mais il devait maintenant racheter ses crimes, ici, dans cette stupide académie.

— Racheter mes fautes ? L’agacement criait dans sa voix. Tu dois savoir ce que le monde pense des vampires. Des bêtes sanguinaires, des erreurs de la nature. Ma première faute est d’exister. Dois-je le racheter, ça aussi ?

Son ton dur, sûr de ce qu’il avançait, Arès entrouvrit ses lèvres, dévoilant la pointe de ses canines dans une menace muette. Il s’était abreuvé à tant de gorges, maintenant privé de sa nature profonde, limité dans ses mouvements par des chaînes qu’on nouait à ses poignets en le condamnant à l’A Divini, dans son pays natal, on qualifiait ceux comme lui de bárbaros – des vampires redevenus sauvages.

Il renifla, déjà agacé par toutes ces règles qu’on souhaitait lui imposer, et offrit de nouveau sa morgue à la sorcière. Puis écrasa un soupir entre ses lèvres sèches.

— Combien de temps faudra-t-il pour me racheter ?

Il la défiait. Arès était bien plus grand qu'elle mais Maria n'avait nulle besoin de hauteur pour se sentir superieur. Elle l'était depuis l'enfance, de part son nom, de part son rang et surtout de part les pouvoirs qui coulaient en elle. Puissante parmi les puissants, on avait peur d'elle dans les couloirs de l'Académie tout en cherchant attention et affection de sa part. Huit ans déjà que Maria se frayait un chemin vers le sommet. Elle était l'exemple même de la réussite d'A Divini. Un pardon qu'on lui accorderait puis une place parmi les grands de ce monde. Après tout, les puissants étaient pour beaucoup passé entre les mains de la Mater.

— Je me fiche de ta race Megalos. Les vampires ont mauvaises réputations, tant pis pour eux. Il me semble que tu n'es pas défini uniquement par le don de mort ? Ici, tu n'es pas un vampire. Tu es un étudiant parmi tant d'autre et croit bien que se seront tes actes et seulement tes actes qui seront jugés.

Les mots étaient durs, identiques à ceux d'Arès. Maria observa les crocs sans même frémir, sourit d'un dédain parfait à la menace sous jacente. Qu'il tente d'attaquer.

Il soupire. Enfin. Déjà. Elle en serait étonnée, persuadée que le cheval offrirait bride plus fougueuse. Serrant un peu plus son livre contre sa poitrine, elle lui fait signe de la suivre pendant qu'elle commence à parler. La jupe plissée, uniforme obligatoire pour les dames, claque contre ses cuisses. Il fait froid mais la morsure est tenue à l'écart dans l'enceinte de l'Académie. Et Maria ne fait parti des étudiants qui en sortent.

— Neuf ans, comme tous les repris de justice. Ne t'ont-ils donc rien expliqué quand ils ont fait ton procès ? la question est sincère car elle interpelle jusqu'à la sorcière. Elle demandera à Apolline. La gamine, commère parmi les commères, étudiait le droit et revisionnait tous les procès, méticuleusement. Elle en savait un rayon sur chaque étudiant, avant même que ce dernier ne franchisse les portes d'A Divini. Maria l'évitait. Mais Arès la rendait curieuse, lui et son nom de famille trop familier.

Pas un tremblement, pas une once de peur. Arès ne savait pas qui était cette demoiselle mais elle lui parut tout à coup plus stupide qu’il ne l’aurait cru. Le nom d’Arès Megalos avait fait tant frémir ces derniers siècles – jusqu’à ce que sa famille retrouve finalement sa trace. Alors qu’ici, on ne le craigne pas, il le refusait. Et il changerait la donne, il en était certain. Il s’enorgueillissait de cette capacité naturelle chez lui, par tout le froid qu’il soufflait, il le savait parfaitement, il inspirait la peur. Mieux encore : il s’était tant délecté des regards qu’il hantait, des lèvres affolées qui balbutiaient des suppliques. Il était la psychose, comme un cauchemar qui s’accroche tant à l’esprit qu’il hante même les jours bien éveillés. Comme des transes qui tordent le ventre d’une main sauvage.

De tous les rebus de la société qu’étaient les vampires, Arès appartenait à la pire espèce. Il parut se détendre, ses épaules s’affaissèrent légèrement. Sans que nulle chaleur n’effleure le vampire, l’ombre d’un sourire parut plisser la commissure de ses lèvres. Il passa lentement son regard sur la jeune femme, étudiant les traits de son visage, comme cherchant à la percer à jour.

— Je me demande ce qu’une akatharos comme toi a bien pu faire pour atterrir ici.

Une insulte dans son pays natal. Les impurs, littéralement, étaient les sorciers d’ordre inférieur. Vaincus par les princes helléniques il y a bien longtemps, ils avaient perdu le gros de leur puissance pour ne plus être capables que de tours de passe-passe. Arès n’avait guère de respect pour les mages, car si la Grèce avait chassé toutes les créatures de ses terres, les vampires y avaient été les derniers représentants.

Un jour peut-être, les princes reprendraient-ils leur place. Mais Arès ne voulait pas y retourner. Il manquerait toujours Selene à son existence.

Il leva un sourcil face à la surprise de la sorcière. Comme si tout le monde devait être au courant de son petit univers stupide. Comme toujours, il répondit abruptement.

— On n’a pas pris le temps de m’expliquer beaucoup de choses. Ou je venais ici, ou on me disgraciait. Et crois-moi, quand on porte mon nom, tout est mieux que la disgrâce.

Un châtiment terrible, tiré des premiers princes helléniques. Et une tradition, depuis, pour quiconque mettait en danger le secret de leur existence. Lui était allé loin, bien trop loin. Cette seule idée l’ennuyait, mais l’A Divini lui avait sauvé la vie – tout du moins ce qu’il en restait.

— Donc, puisque je suis apparemment forcé d’avoir une… mentor, qu’attends-tu ?

De l’autorité dans la voix, mêlée d’impatience, Arès darda sur elle un air sombre, peu désireux de lui en dire trop sur sa personne. Il était un solitaire, et si elle avait dans l’idée de s’épancher sur leurs vies communes autour d’un thé toute la soirée, elle faisait fausse route.

Elle n'aimait pas la manière dont il la regardait. Comme un morceau de viande, cherchant à percer les secrets de sa chair et de son esprit. S'était son rôle à elle. D'entrer dans les esprits et d'en contrôler le sens. De découvrir ce qui se cachait dans l'encéphale quand la personne le désirait le moins. Le satin de ses gants glissa sur la couverture de son livre alors qu'elle relevait un peu plus le menton. Fierté et orgueil en berne. C'était ses péchés, ses démons. Sa petite litanie incessante. Sa grand mère avait été assez claire. Elle était supérieure aux autres. Que ce vampire soit mille fois plus âgés qu'elle lui importait peut. Il n'était qu'un débutant, un première année encore fougueux auquel on apprendrait bientôt le silence. Et sinon... Sinon la simple pensée lui offrait un sourire sarcodique. Nombreux étaient ceux à n'avoir voulu se plier à la volonté d'A Divini. Peu étaient toujours là pour en parler.

L'insulte est crachée en grecque et elle lui offre la réponse sur ses quelque questions. La langue, le port altier. N'y aurait-il eu sur son veston le symbole de sa maison que s'eut été plus simple.

Sa propre machoire se serre. Il imagine même. Pensait-il vraiment qu'une akatharos aurait le pouvoir de finir dans l'Acamedie ? De ravager le monde aussi fort pour que les Hautes Instances en personne viennent la chercher. Elle revoyait les menottes à ses poignets fin. La morsure de l'acier anti magie contre sa chair fine. Elle ne portait pas de gans à l'époque. Elle pouvait utiliser ses dons comme elle le désirait à l'époque. Pas de bijoux stupides pour la contrôler. La colère, le ressentiment. Tant d'émotions qui glissèrent sur sa peau d'albâtre pour ne jamais en offrir le murmure.

— Quand on se costume de noblesse, on sait se tenir. Les yeux clairs de la jeune femme le dévisagent, le méprise presque audible. Tous les deux avaient du sang bleu. — Je n'attends rien de toi. Je suis là pour te présenter l'Académie, te guider dans les couloirs et faire un point sur tes droits et devoirs. Devoir bien plus prononcé, bien plus appuyé. Lui en aurait beaucoup. Que tu sois ici pour redorer un blason ou non, tu auras des leçons. Ne t'avises pas d'arriver en retard, le règlement est stricte. Le voici. Elle sortit une liasse de feuille de son carnet. Mis en forme, police appliquée et écriture fine. Le reglement offrait même la griffe de la Mater. Ton emploi du temps y est accolé. En première année, tu suivras le cursus classique, quoiqu'un rien adapté à ta condition. Les vampires s'entrainent ensemble à contrôler leur soif de sang et leur violence. Tu partageras la classe avec des metamorphes. Je te conseille de ne pas les asticoter. Ils sont souvent chaffoin.

Elle rejeta ses cheveux derrière ses épaules, geste mille et une fois répeté, d'un cliché crasse qui la faisait pourtant sourire.

— Les Vertus sont notées dans le règlement et je te conseille de les apprendre rapidement. Tu te dois de pouvoir les citer à tout moment.

Ses yeux retrouvèrent son vis à vis, alors qu'elle avançait d'un pas décidé vers la salle commune.

— Est-ce que tu as déjà des questions ou je vais trop vite pour toi ? Nulle gentillesse dans les propos. Elle ne s'inquiétait pas de lui. Simplement de bien faire ce pourquoi on l'avait choisie.

Les yeux d’Arès, taillés par ses traques et autres parties de chasse illégales, observèrent avec un plaisir certain la contracture de sa mâchoire – il avait touché juste en lui offrant son antique insulte. Et lui avait glissé par la même occasion une information primordiale à son sujet : il la méprisait bien au-delà de ce qu’elle pouvait penser. Elle, comme tous les autres à dire vrai. Il y avait peu d’êtres, vivants ou non, simples mortels ou non, qu’il admirait. Si peu que l’un de ces chanceux était dans la tombe, et l’autre l’avait fait envoyer ici. Que n’aurait-il pas fait pour la sœur qu’il lui restait ? Quand on avait voulu l’arrêter, Arès s’était bien sûr débattu, et rendu plus fort par le sang dont il se régalait, ils avaient dû s’y mettre à plusieurs pour le maîtriser. Et puisqu’il renâclait, refusant de plier face au piège tendu par Eos, c’était finalement elle qui était intervenue.

Une main sur son épaule, une autre soutenant son menton pour qu’il la regarde. Elle avait croisé leurs yeux comme on croise le fer. Avait murmuré – il est temps que tu reviennes, o aderfós mou. Il lui avait cédé, parce qu’il ne restait qu’elle.

— Je ne me costume de rien, sorcière.

Si ce n’était sa froideur légendaire, tout du moins. Le mépris ne siffla pas dans sa voix cette fois-ci, son ton grave exempt de la moindre émotion. Absent, ce n’était plus le chaud ni le froid qu’il soufflait mais bien une indifférence sincère – il se fichait d’elle et de ce qu’elle pouvait penser.

S’était-il déjà attaché au paraître ? Oh oui, certainement, du temps des princes helléniques. Lorsqu’ils étaient encore au sommet de leur puissance et que le nom de Megalos se vautrait dans la luxure. A cette époque, Arès savait même sourire.

Il écouta son laïus sans frémir, peu inquiété par ses nombreuses mises en garde. Il n’était rien qui sache le faire trembler. Rien qui ne lui arrache un frisson, rien qui ne réveille son cœur absent de sa poitrine. Il était un Originel, né vampire – l’on savait de ceux-ci qu’ils ne craignaient rien ni personne. Eux-mêmes tout au plus. Il saisit la liasse qu’elle lui tendait sans se pencher dessus. Il y reviendrait plus tard. Il froissa vulgairement les papiers et les fourra dans une poche de son veston.

— Je ne ferais qu’une bouchée des métamorphes s’ils m’approchaient.

Déclaration jetée au vent, un souffle moqueur au fond de la voix. Ici comme ailleurs, Arès serait tout-puissant. Il ne s’inquiétait nullement de ses futurs camarades.

Le vampire observa le geste de la sorcière qui rejetait ses cheveux en arrière dans une parodie de grandesse. Il la trouva ridicule mais se retint de le lui dire – plus vite il serait débarrassé d’elle, mieux ce serait. Il lui emboîta le pas sans dire un mot.

— Aurai-je une chambre seul ? Ou devrai-je la partager avec quelqu’un d’autre ?

Il leva sur elle son regard désintéressé, haussant un sourcil impatient en attendant sa réponse. Il n’avait aucune envie de se retrouver dans un dortoir. Et si c’était le cas, il s’arrangerait pour que cette situation change, et vite. Il ne se pliait pas aux lois et règles. Celles-ci se pliaient à lui, à sa noble volonté. Ça avait toujours fonctionné ainsi, pourquoi cela changerait-il ?

Elle lève les yeux au ciel. L'homme prèche par orgueil et le vampire lui en donne les moyens. Elle imagine d'ici ce harceleur de Toby dans la même classe qu'Arès, offrant ses sourires d'ange et ses manies de tyran face à celui qui n'aurait même le droit de répondre. On ne choisissait ses camarades de classe et Maria ne pouvait s'empêcher de tous les mépriser. Elle avait pourtant hâte de voir le vampire aux prises avec le métamorphe, déjà cent fois chouchous de ces dames et surtout des professeurs. Arès se trainait des casseroles immenses.

— Comme tout premier année, tu seras dans un dortoir. L'Académie a voeu de nous apprendre le "vivre ensemble". Ensuite, et seulement si tu fais tes preuves, tu pourras te retrouver en chambre double voir, comme moi, en solitaire.

Elle lui offre un faux sourire, de ceux marbré d'hypocrisie qui ne faisaient aucun doute sur l'absence de chaleur qu'ils renfermaient. Maria ne le regardait que de manière sporadique, ses iris concentrés sur le chemin. L'Academie était bien trop grande, vaste château offert à la Mater pour dompter les plus féroces. Elle rassemblait ce que l'Italie comptait de plus beau mais elle engrainait à sa suite bien des problématiques. Sa taille, si elle était un bonheur pour les plus sauvages des étudiants, se révélait rapidement fatigante pour ceux dont les racines rapprochaient des hommes et non des dieux. Ils apprenaient à trouver le chemin le plus court et Maria était de ceux là. Elle n'aimait pas marcher et si l'Académie l'avait obligé à tronquer ses stilettos pour des ballerines à minuscule talons, elle n'en demeurait pas moins fragiles des genoux.

— Si je peux toute fois me permettre un conseil, tu devrais faire preuve de prudence. Les professeurs n'aiment pas l'orgueil et nous sommes tous là pour des erreurs violentes. Tu n'es et ne seras jamais le seul à avoir fait couler le sang.

Aucun regard quand elle confie ses mots. Elle ne parle pas d'elle, mais bien des autres élèves. L'enfant modèle ne mérite qu'à peine de s'être retrouvée en ces lieux.

Un dortoir. Les sourcils du vampire s’arquent à l’entente du vivre ensemble, triste concept. Mais ce n’est pas de la surprise qui passe brièvement sur les traits tendus de son visage, plutôt une lassitude profonde, de celles qui ne s’acquièrent qu’au terme de siècles d’existence. De son passé trouble, il ne reste que des ruines, comme celles du château dans lequel il avait vécu si longtemps. C’était finalement la guerre d’indépendance grecque qui lui avait arraché le luxe dont il s’entourait. Sa famille et lui étaient restés protégés, un temps, par des Grands du monde qui leur avaient offert l’hospitalité. Ils disposaient toujours de vastes appartements, des chambres parées de dorures, de bijoux incrustés de pierres si précieuses qu’elles n’en avaient plus de valeur.

Tout ça pour ça. Pour un dortoir, finalement. C’était d’une tristesse.

Il reste silencieux, remuant ce glorieux passé dans son esprit avant que ne reviennent d’autres souvenirs, presque plus doux à son esprit malade – les années passées loin de ses pairs, ces temps bienheureux où il trompait l’ennui en tuant en solitaire.

Il lève encore un sourcil quand la sorcière se permet un conseil. Il n’a que faire de ce qu’elle peut lui dire, en humant à nouveau son odeur, il la devine au moins aussi vieille d’âme que lui. Elle n’est rien, elle n’est personne – il abhorre la confiance excessive qu’elle accorde à sa petite personne. Ironique quand lui se baigne dans l’orgueil.

— Rassure-toi, souffle-t-il le ton plus doux – mais son souffle ressemble à s’y méprendre à la mise en garde du serpent. Je suis un grand garçon, j’ai sans doute vu plus que tu ne verras jamais, je pense pouvoir me débrouiller.

Sa voix est finalement cynique, sombre et mauvaise. En l’observant de dos, il devine à la gestuelle de la sorcière qu’elle n’aime pas marcher. Lui s’en fiche. Au fil des époques, il a dansé dans de grands bals, marché en cadence avec l’armée, alors ce n’est pas l’immense académie qui l’effraiera – moins encore quand la pureté de son sang lui offre une endurance sans pareil. On ne peut essouffler un cœur qui n’existe pas.

— Hum, lance-t-elle, dubitative.

Au moins n'est-il pas mutique, comme certain de pensionnaire dont elle a eu la charge par le passé. Il est hautain, méprisable mais il parle. C'est déjà ça. Certain arrivait de leur plein gré, le regard vide, hanté par mille traumatisme. Lui était conscient. Par Dieu qu'elle avait hâte d'assouvir sa curiosité auprès d'Apolline. Le nouveau serait au coeur de toutes les questions dans les jours à venir.

Avant que l'attrait ne passe, comme d'habitude.

— La Salle de Réception est derrière cette porte; C'est ainsi que nos chemins se séparent pour aujourd'hui. Les repas y sont servit à midi précis et à dix huit heures trente. Les vampires ne sont pas autorisés à se nourrir sur leur camarade. Tu trouveras des poches de sang ou quelque soit le régime que tu as décidé de suivre. Elle offre tant de mépris dans ses mots qu'il en suinte. Dédain absolue pour celui dont le nom a tant et tant coloré les choux blancs. — Je reviendrai te chercher dans une heure. Prends ceci. Il me permettra de te retrouver sans trop de difficulté. Je préfère que mes mentorés découvrent par eux-mêmes les lieux. Essaye de ne pas te perdre. Et si tu me cherches avant, je serais à la bibliothèque, au deuxième étage.


Elle lui tend une bague, chevalière de plus dont elle porte un double au doigt. La Mater aime les liens, les étreintes, les contraintes. Et si Maria les déteste, elle ne se permettra jamais de remettre en question les actes de la Grande.

— Je te conseille de la porter, avant que toute idée stupide te passent pas la tête. La Mater sera au courant si tu l'enlèves. Et je pense qu'il est préférable que tu n'aies pas, encore, à la rencontrer.

On ne parlait que trop de la Veuve Noire, sans pour autant que quiconque ait vu son visage. Les apparitions publiques lui étaient rares et seuls les élèves méritant se gaussaient de la connaitre. Eux... et les quelques rares idiots qui avaient brisé les règles. L'illusion de liberté était partout. Illusion tout du moins.